Le lobbyiste repenti qui fait trembler le Tout-Washington

Publié le par Takana

Accusé de corruption active, Jack Abramoff, ancien lobbyiste flamboyant de la capitale fédérale, a accepté de collaborer avec la justice en plaidant coupable. Le scandale qui couve risque d'éclabousser l'ensemble de la classe politique américaine.

En pleine disgrâce, Jack Abramoff est devenu "l'homme le plus dangereux du moment à Washington", note USA Today. Devant une cour fédérale de la capitale des Etats-Unis, cet ancien lobbyiste influent a accepté, mardi 3 janvier 2006, de plaider coupable face aux accusations d'escroquerie, de fraude fiscale et de corruption active et de collaborer avec la justice américaine. Il adopte ainsi la même posture que son ancien partenaire en affaires et complice Michael Scalon.

"Abramoff a ainsi admis avoir roulé ses clients, trompé son cabinet d'avocats et menti sur ses revenus imposables. Abramoff a aussi reconnu avoir soudoyé au moins un membre du Congrès et son équipe, en les couvrant d'avantages et en étant plus que largement remercié par leur soutien dans la défense des intérêts de ses clients. Maintenant que les deux plus importantes cibles privées de cette affaire ont accepté de coopérer, les investigations de la Justice peuvent se concentrer sur les responsables publics impliqués", note le Washington Post dans son éditorial.

"En tant que lobbyiste républicain de haut vol, Jack Abramoff a longtemps été connu comme un acteur remuant à Washington. Mais quand il a accepté de collaborer avec la justice fédérale, il a secoué cette ville comme jamais auparavant", insiste le New York Times. Jack Abramoff, qui s'est essayé sans succès au cinéma, a octroyé des sommes d'argent ou toutes sorte de cadeaux – dont des invitations à de grands événements sportifs ou au restaurant chic qu'il possédait à Washington, mais aussi des voyages d'agrément tous frais payés – à ceux dont il espérait un soutien en retour.

Il a bâti sa richesse sur des dessous-de-table aux dépens de tribus indiennes qu'il avait comme clients. "Dans un cas, ces dessous-de-table s'élèvent à plus de 11 millions de dollars. Dans un autre, ils dépassent les 6 millions de dollars. En moins de trois ans, Jack Abramoff s'est emparé secrètement de plus de 20 millions de dollars appartenant à des tribus indiennes de cinq Etats différents, une somme presque équivalente à la moitié des 43,3 millions de dollars que lui et son associé ont perçu pour faire du lobbying en leur faveur", rapporte le New York Times.

Si l'enquête n'a pas révélé l'identité de l'unique homme politique ouvertement impliqué dans ces malversations, la presse révèle sans hésiter qu'il s'agit du représentant de l'Ohio, le républicain Bob Ney. Mais les répercussions du scandale vont bien plus loin et assombrissent l'avenir politique de l'ancien chef de la majorité républicaine à la Chambre des représentants, Tom DeLay, élu du Texas, qui fut un temps l'un des plus proches alliés d'Abramoff. "Reste que, si Abramoff est plutôt lié aux républicains, même les démocrates, dont plusieurs ont bénéficié de ses largesses, se sont comportés avec frivolité", poursuit le NYT.

A présent, Abramoff fait acte de contrition. Il a accepté de restituer 25 millions de dollars à ses clients lésés et risque une peine réduite à une dizaine d'années d'emprisonnement en acceptant de collaborer avec la justice.

"Peut-être qu'un jour quelqu'un fera un film sur Abramoff. Pour l'heure, en plaidant coupable, il porte l'attention sur un spectacle encore plus effroyable : celui des législateurs qui faisaient partie de son réseau. Ce qu'il y a de plus choquant dans l'affaire Abramoff n'est pas qu'il veuille faire fortune pour gagner de l'influence et du pouvoir. Le plus choquant est que tant de membres du Congrès américain soient si prompts à s'entendre avec lui. Pas moins d'une vingtaine de législateurs et hauts responsables américains pourraient faire l'objet d'une enquête", indique USA Today dans son éditorial.

The Independent consacre sa une à "l'homme qui s'est payé Washington". Pour le quotidien britannique de gauche, le scandale met au jour une réalité peu reluisante de la vie politique américaine à l'échelle fédérale : le lobbying, une industrie qui pèse 4 milliards de dollars. Selon le journal, 14 000 lobbyistes sont enregistrés et autant ne le sont pas. Quelque 620 millions de dollars ont été dépensés par des sociétés étrangères pour bénéficier d'une oreille attentive à Washington.

"Le lobbying exercé à Washington cache un secret sordide. Certains affirment qu'il fait partie du processus démocratique. D'autres qu'il s'agit de pots-de-vin légalisés, voire de corruption. Mais que vous soyez pour ou contre, c'est ainsi que l'on travaille à Washington", conclut The Independent.

Philippe Randrianarimanana

Publié dans Etat Unis

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