TEMPS FORT : Ces Suisses qui gagnent leur vie avec eBay

Publié le par Takana

.De plus en plus de personnes tirent tout ou partie de leurs revenus des sites d'enchères
.Brocante, électroménager, hôtellerie, galeries d'art... tous les secteurs sont concernés
.Le traitement fiscal des utilisateurs fréquents des sites d'enchères reste dans le flou

Lorsqu'il s'est retrouvé au chômage il y a deux ans, Patrice*, un Neuchâtelois de 48 ans, a pu consacrer beaucoup plus de temps à sa collection de briquets Zippo. Mais il a vu ses ressources fondre.
Pour financer sa passion sans bourse délier, il est devenu un véritable courtier en Zippo sur eBay, le plus important site d'enchères sur Internet. Patrice s'est mis à ratisser les marchés aux puces. Le site suisse d'enchères Ricardo.ch et les annonces d'eBay en Espagne se sont aussi révélés de bons pourvoyeurs en briquets. Leur revente sur le site eBay.com fréquenté par les collectionneurs américains et japonais lui a permis de belles plus-values. Patrice en a retiré des revenus si substantiels qu'il a hésité à en faire son nouveau métier.
Beaucoup d'autres ont sauté le pas. En Europe, 170 732 personnes tirent d'eBay leur première ou leur seconde source de revenu, selon eBay. Le site est devenu une pépinière de PME et un phénomène de société.
Dans certaines librairies romandes, la moitié du rayon informatique est consacrée aux enchères sur internet. Les titres vont de «eBay pour les nuls» à «Comment devenir millionnaire sur eBay». En Suisse alémanique, les Ecoles-club Migros proposent de plus en plus de cours destinés à aguerrir les futurs enchérisseurs et vendeurs.
Avec ses 181 millions d'utilisateurs répertoriés dans le monde, eBay offre des débouchés sans limite. Au cours du dernier trimestre 2005, 546 millions d'objets y ont été mis en vente. Les transactions ont atteint 12,4 milliards de dollars. eBay, qui est aussi une société cotée à New York, a touché pour 1,3 milliard de commissions.
eBay est un tremplin pour toutes sortes de vocations. Hans-Rudolf Bläuer, un plombier de Windisch (AG) voulait moins travailler sur les chantiers et davantage dans la distribution d'appareils sanitaires. «Ricardo.ch et eBay nous ont fourni un canal de distribution supplémentaire et se sont révélés un excellent outil marketing», témoigne un employé. Les ventes de sa société Sanigroup ont augmenté de 40% l'année dernière.
Près de Saas Fee (VS), Marlyse Zurbriggen réalise 15% du chiffre d'affaires de son hôtel sur eBay. L'Olympia est un trois-étoiles de 32 chambres. «eBay me sert à faire le plein en basse saison», explique-t-elle. L'hôtel Villa Toscane, un quatre-étoiles à Montreux, commercialise 60% de ses chambres sur Internet, dont une partie sur eBay. «C'est un outil supplémentaire pour faire connaître l'établissement», commente Kathe Krähenbühl, la gérante.
Artbanky, à Zurich, réalise plusieurs centaines de transactions par mois, sur des œuvres d'art. Les œuvres, provenant de ventes ou confiées en dépôt-vente, dépassent rarement quelques centaines de francs. Les clients sont majoritairement asiatiques. «Le concept de galerie en ligne fonctionne bien, mais nous restons prudents», déclare Tim Frey, l'un des gérants. «eBay est un marché très transparent où les bonnes idées sont facilement imitées. Les choses peuvent évoluer très vite», ajoute-t-il.
L'une des eBay-entreprises les plus importantes de Suisse distribue partout en Europe des accessoires pour la décoration des voitures («tuning»). Comme plusieurs spécialistes en montres, elle ne souhaite pas apparaître dans un article de presse. Simple discrétion helvétique ou peur de nourrir la curiosité des autorités? Suzi, une jeune maman, fait partie de ces personnes qui flirtent avec l'illégalité. Elle achète beaucoup de layettes en Grande-Bretagne pour habiller son fils, mais aussi pour en revendre avec bénéfice en Allemagne, en Autriche et en Suisse. «eBay.co.uk est bien meilleur marché que les sites continentaux. En plus, les frais de port britanniques sont moins élevés», observe-t-elle. Son activité est rentable, mais elle ne déclare rien au fisc, ni aux douanes.
«En l'absence de jurisprudence, le flou règne», déclare Pierre-Alain Guillaume, avocat à l'étude Oberson à Genève. Aux yeux du fisc, quelques transactions en ligne pourraient suffire à constituer une «activité indépendante accessoire» dont les gains sont imposables, selon lui. La longueur de la période de prescription, dix ans, fait courir un risque énorme aux utilisateurs fréquents d'eBay. «Ils devraient conserver toutes leurs factures», conseille Pierre-Alain Guillaume.
A Zurich, Christoph Bechtler gère un dépôt-vente exclusivement consacré à eBay. Sa société Carry-Cash est encore en phase de décollage. Son rôle consiste à photographier les objets et à rédiger les argumentaires. Mais les frais de port et le paiement de la TVA freinent son développement à l'international.
Le responsable de la douane postale à Bâle en sait quelque chose. Son service voit défiler un nombre croissant de colis renfermant les biens achetés en ligne à l'étranger... et d'usagers mécontents: «Beaucoup de gens ne prévoient pas que le dédouanement et les frais bancaires peuvent aller jusqu'à 70 francs», prévient André Boillat. Mais, du paiement en liquide au transport sous le manteau des paquets à travers la frontière, les combines ne manquent pas pour échapper à tous ces coûts.

* Nom d'emprunt.

© Le Temps.

Publié dans Suisse

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article